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31 août 2009 1 31 /08 /août /2009 16:17

Steven Spielberg, Martin Scorsese, Brian De Palma, George Lucas
et Francis Ford Coppola, à l’anniversaire de Scorsese

Brian Russell De Palma, né le 11 septembre 1940 à Newark dans le New Jersey, est le cadet d’une famille protestante de trois fils. Les parents, Anthony et Vivienne De Palma, laissent leurs garçons cohabiter dans un climat de concurrence, où chacun vit pour soi et s’achète par exemple les mêmes revues de science fiction pour compléter sa propre collection. Les yeux sont surtout tournés vers l’aîné, l’arrogant Bruce dont l’orgueil finira par lui faire perdre la raison. Insociable, il deviendra peu à peu misanthrope, partira vivre sur une île de Nouvelle-Zélande et mourra dans la plus grande solitude à la fin des années quatre-vingt-dix. De son côté, le jeune Brian cultive très tôt une passion pour la physique dont il décide de faire sa spécialité (en partie pour s’attaquer au terrain de Bruce, également passionné de ce domaine). Adolescent surdoué, fasciné par l’astronomie et la science-fiction, il conçoit lui-même des ordinateurs et reçoit de nombreux prix, localement puis au niveau national.

À dix-sept ans, il est récompensé par une médaille d’or pour une thèse portant cet obscur titre de : L’application de la cybernétique à la résolution d’équations différentielles (An Analog Computer to Solve Differential Equations). Plus intéressé par l’univers électronique des ordinateurs, il n’accorde pas encore beaucoup d’importance au septième art qu’il considère comme du loisir. Les films qui passent au cinéma le samedi soir représentent surtout l’occasion de sortir avec une petite copine. Néanmoins, deux films de Michael Powell découverts à la télévision le marquent : The Red Shoes et The Thief of Bagdad.

Pendant ce temps, les relations entre ses parents se dégradent. Son père, qui exerce les métiers de professeur médical puis de chirurgien orthopédique, trompe sa femme avec une infirmière. La mère n’a pas suffisamment de courage pour le quitter mais assez pour tenter de se suicider. Après l’avoir trouvée avec une boite entière de barbituriques vidée, Brian conduit sa mère à l’hôpital. Ne pouvant pas laisser une situation comme celle-là s’envenimer, le jeune surdoué de la technique ira, muni d’un appareil photographique, sur les traces de son père qu'il suivra pendant plusieurs jours. En prenant des clichés de lui avec sa maîtresse, Brian acquiert ainsi le matériel nécessaire à présenter pour obtenir le divorce de ses parents… 

Brian De Palma quittera le foyer familial pour entrer à l’université Columbia de New York, dans le but d’achever sa formation et de devenir astrophysicien.
Mais pendant sa première année de faculté, âgé alors de dix-huit ans, il est fortement marqué par la vision d’un film découvert dans une salle new-yorkaise : Vertigo d’Alfred Hitchcock. La compagnie d’étudiants cinéphiles, d’amateurs de théâtre, l’arrivée d’Europe de nouvelles formes cinématographiques avec Godard, Truffaut, Rossellini ou Antonioni, et la fréquentation régulière des ciné-clubs, créeront chez lui la révélation. En 1958, Brian De Palma laisse définitivement tomber la physique, et s’oriente vers des études artistiques…

Jean-Luc Godard a une influence considérable sur lui. Il réalise son premier court métrage d’étudiant en 1960, Icarus, suite à l’abandon de son réalisateur initial. C’est suivi l’année suivante de 6601224, The Story of An IBM Card, et surtout Woton’s Wake en 1962, pour lequel il remporte plusieurs prix. Au cours de ses études au Sarah Lawrence College, De Palma aborde le long-métrage avec The Wedding Party, co-réalisé avec Cynthia Munroe et un professeur d’art dramatique, Wilford Leach, qui aura une importance déterminante pour De Palma. C’est une comédie en partie improvisée par les comédiens dont c’est les débuts à l’écran : Robert De Niro et Jill Clayburgh. Le réalisateur en herbe poursuit son apprentissage sur divers documentaires et courts métrages dont The Responsive Eye consacré à une exposition d’Op Art au Musée d’Art Moderne de New York. En 1967, il revient au long métrage avec Murder à la Mod, thriller sophistiqué émaillé de références hitchcockiennes. L’euphorie contestataire des années soixante inspire De Palma. En s’interrogeant sur les paradoxes artificiels de la société américaine et l’absurdité de la guerre du Vietnam, il livre les comédies satiriques novatrices Greetings (Ours d’Argent au Festival de Berlin) qui sera le premier film classé X aux Etats-Unis, et Hi, Mom!, deux films prouvant que c’est l’un des meilleurs jeunes talents de la Nouvelle Vague américaine. Entre-temps, il réalise Dionysus in ‘69, film documentaire sur un happening filmé en écran partagé, technique qu’il reprendra dans plusieurs de ses films. De Palma devient une légende parmi les cinéastes new-yorkais indépendants, et de grands studios hollywoodiens commencent alors à s’intéresser à lui. Il se voit ainsi offrir des projets plus importants.

On lui propose une comédie : Get to Know Your Rabbit, qu’il réalise en 1971 avec pour acteurs Tom Smothers, Katharine Ross et une très grande figure du cinéma alors sur le déclin, Orson Welles. Mais les relations avec les producteurs sont conflictuelles et De Palma est viré avant le montage. Il se change les idées en partant s’installer en Californie avec le futur « Nouvel Hollywood » (Spielberg, Lucas, Scorsese…), dans la maison des actrices Jennifer Salt et Margot Kidder.
À Noël, il offre aux deux comédiennes un scénario qu’il a écrit pour elles, Sisters, qu’il tourne en 1973. Rompant avec le style à moitié improvisé de ses précédents films, il affirme ici d’exceptionnelles qualités d’écriture, un sens de la construction, du cadrage et du rythme dignes des meilleurs réalisateurs hollywoodiens. La consécration artistique arrivera l’année suivant ce coup de maître, lorsqu’il signe le thriller musical Phantom of the Paradise qui remporte en 1975 le Grand Prix du Festival d’Avoriaz. En 1975, il écrit et réalise Obsession, thriller romantique interprété par Cliff Robertson et Geneviève Bujold, où il rend un bel hommage à Hitchcock.

En 1976, il porte à l’écran le premier roman de Stephen King, Carrie, et, en dépit d'un timide marketing, c’est le triomphe international qui vaut une nomination à l’Oscar pour Sissy Spacek et Piper Laurie. C’est la première et une des plus brillantes transpositions de l’œuvre de Stephen King. Sa célèbre séquence finale, qui a fait brusquement jaillir les popcorns de salles tremblantes, et certains procédés du film, ont été depuis largement imités. Le film a révélé John Travolta (ici dans son tout premier rôle), Amy Irving et Nancy Allen que De Palma épousera en 1979 (ils divorceront en 1983).

En 1977, De Palma dirige Kirk Douglas, John Cassavetes et Amy Irving dans The Fury, film d’espionnage mêlant occultisme et politique-fiction. En 1978, il réalise Home Movies toujours avec Kirk Douglas, et aussi Nancy Allen et Keith Gordon, et le concours de ses étudiants en cinéma de Sarah Lawrence College. Cette comédie semi autobiographique retrace directement ses propres aventures d’adolescent quand il espionnait son père.

C’est au cours des années quatre-vingt que sa réputation d’affreux jojo du cinéma américain prendra forme, avec des films provocateurs où les perversions sexuelles gratinées, les meurtres au rasoir, à la perceuse ou à la tronçonneuse, scandaliseront et lui vaudront quelques démêlés avec les féministes. Ce sera le cas notamment avec Dressed to Kill qu’il réalise en 1980, interprété par Michael Caine, Angie Dickinson et Nancy Allen, qui est considéré aujourd’hui comme l’une des grandes réussites de sa carrière, tout comme Blow Out qu’il écrit et met en scène en 1981, hommage à sa façon au Blow Up d’Antonioni. Il explore avec ces deux films deux thèmes dominants de son œuvre : voyeurisme et manipulation. Mais malgré leurs indéniables qualités, le public n’est pas au rendez-vous. À cause des nombreuses références aux films d’Alfred Hitchcock, on l’accuse de n’être qu’un plagiaire du grand maître du suspense.

En 1983, Brian De Palma réalise une nouvelle version baroque et hyper violente de Scarface, sur un scénario d’Oliver Stone d’après celui d’Howard Hawks et Ben Hecht. On y découvre un Al Pacino grandiose en psychopathe cocaïné jusqu’aux tréfonds des sinus, et le film révèle Michelle Pfeiffer. Évidemment, la critique n’est pas tendre, et ne le sera pas non plus avec son prochain film. En 1984, De Palma signe Body Double qui offre son premier grand rôle à Melanie Griffith dans ce qui sera le dernier thriller en hommage à Hitchcock, où les références fourmillent. La scène du meurtre à la perceuse longue mèche a fait pleuvoir des articles de presse incendiaires. Abandonnant temporairement ce genre qui a fait sa réputation, il tente une comédie, Wise Guys, qui sera un échec, puis réalise The Untouchables d’après la célèbre série télévisée. Marquant le début de la collaboration entre De Palma et Ennio Morricone pour encore deux films, le film vaudra l’Oscar à Sean Connery et lancera simultanément les carrières de Kevin Costner et Andy Garcia. Grâce à cet immense succès, il peut se permettre de réaliser un sujet plus sensible et qu’il a toujours voulu porter à l’écran : l’histoire vraie du viol d’une jeune Vietnamienne par des soldats américains pendant la guerre du Vietnam. Ce sera Casualties of War où il dirige ainsi Michael J. Fox à contre-emploi, avec également Sean Penn. Le succès est cette fois manquant, et la critique trouve encore le moyen de tirer à boulets rouges sur De Palma, comme Village Voice qui met la photo de De Palma en couverture.

En 1990, il adapte le roman de Tom Wolfe The Bonfire of the Vanities avec Tom Hanks, Melanie Griffith et Bruce Willis, mais le film ne sera qu’un gros fiasco financier et critique, le plus difficile à encaisser pour De Palma. Il reste néanmoins créatif et s’est alors risqué à de nouvelles expériences toujours impressionnantes du point de vue artistique, retournant au thriller en 1992 avec Raising Cain qu’interprètent John Lithgow et Lolita Davidovitch, et qui divise ses fans, ou dirigeant Al Pacino dans ce qui est considéré comme l’un des meilleurs polars des années 90, Carlito’s Way, racontant le destin inexorable d’un ancien trafiquant repenti. Entre-temps, il épouse la productrice Gale Anne Hurd, en 1991. Ils auront une fille, Lolita, et divorceront en 1993. Il se remariera en 1995 avec une certaine Darnell Gregorio, avec qui il aura également une fille, Piper, et ils divorceront en 1997.

C’est en 1996 avec Mission: Impossible, interprété par Tom Cruise, Jon Voight, Emmanuelle Béart, Kristin Scott Thomas et Jean Réno, que De Palma connaîtra un succès international (son plus gros à ce jour). Cette adaptation -plutôt libre- de la série culte sera suivie du thriller Snake Eyes, interprété par Nicolas Cage et Gary Sinise, dont le premier plan est impressionnant de virtuosité. En 2000, sort son premier film de science-fiction : Mission to Mars, interprété par Gary Sinise, Tim Robbins, Don Cheadle et Connie Nielsen. Le film est descendu par la critique et le public ne suit pas. De Palma s’installe en France, parcourt Paris en mobylette, et décide d’y tourner un film sur les mésaventures d’une manipulatrice. Marquant son retour au thriller érotique, Femme Fatale, réalisé en 2002 avec Rebecca Romijn et Antonio Banderas, démarre sur un audacieux vol de bijoux au Palais des Festivals de Cannes.

En 2005, il réunit Josh Hartnett, Scarlett Johansson, Hilary Swank et Aaron Eckhart pour The Black Dahlia, d’après James Ellroy, film qui déconcerte et son succès est mitigé. Avec Redacted, sur la vie de soldats américains dans la guerre en Iraq, De Palma retrouve le style de ses débuts où il dénonçait la guerre du Vietnam, et refait parler de lui dans les médias américains scandalisés. Il décroche le Lion d’Argent du meilleur réalisateur au festival de Venise. À bientôt soixante-dix ans, avec son très probable projet de faire The Boston Stranglers, Brian De Palma prouve qu’après presque cinquante ans de carrière son désir de faire du cinéma reste intact.

Dirigeant Tom Cruise pour Mission: Impossible

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25 août 2009 2 25 /08 /août /2009 20:23

Apparition de Brian De Palma, assis sur les marches, dans son Greetings avec Robert De Niro

Dans les années 60, le cinéma américain est sur le déclin. Les dinosaures qui dirigent les studios, sont de plus en plus décalés par rapport au public des salles de cinéma, à savoir en majorité la génération du baby-boom. Pourtant, ils refusent catégoriquement de passer le relais à une nouvelle génération ambitieuse. En Europe, À Bout de Souffle (1959) & Pierrot le Fou (1965) de Godard, Les 400 Coups (1959) & Jules et Jim (1962) de Truffaut, La Dolce Vita (1960) & Huit et Demi (1963) de Fellini ou encore L’Avventura (1960) & Blow-Up (1967) d’Antonioni, bousculent totalement les règles cinématographiques. Les mouvements pour les droits civiques, les Beatles et les Rolling Stones, la pilule, le Vietnam, la drogue, sont autant d’éléments qui font évoluer une société auparavant sous la crainte d’une Guerre Froide. L’Amérique commence tout juste à vivre sa révolution culturelle. Dès lors que de jeunes auteurs ont accès à des domaines autrefois réservés, influencés par ce nouveau cinéma européen, et aidés par l’apparition des caméras 16 mm qui permettent d’aller filmer n’importe où, une avalanche de films aux idées nouvelles apparaît. Ces productions se réalisent parfois pour presque rien, parfois fort mal car sous la responsabilité d’amateurs sans expérience. Ils remettent en cause les conventions traditionnelles du récit et le « techniquement correct ». Mais quand certains réussissent avec des œuvres à risque (souvent sans héros, et rompant avec le manichéisme et le happy end de rigueur), ils font voler en éclat les vieilles recettes du succès. Parallèlement, des films à gros budgets se ramassent au box-office. La production hollywoodienne est dans tous ses états : plus aucune formule ne garantit le succès…

Les cinéastes de ce qui deviendra le « Nouvel Hollywood » parmi lesquels figurent Brian De Palma, mais aussi Woody Allen, Peter Bogdanovich, Francis Ford Coppola, William Friedkin, Steven Spielberg ou Robert Altman pour n’en citer que quelques-uns, dérobent le pouvoir aux sacro-saints studios, et assument pleinement leur position d’artistes. Associée à ces nouvelles figures de la réalisation, une pléiade d’acteurs d’un nouveau genre fait son apparition. Formés pour la plupart à l’Actor’s Studio sous la houlette de Lee Strasberg, ces acteurs (Robert De Niro, Dustin Hoffman, Al Pacino, Ellen Burnstyn, Faye Dunaway, Donald Sutherland, etc.) sont à l’opposé du style classique de leurs prédécesseurs. En 1967, Bonnie and Clyde d’Arthur Penn et The Graduate de Mike Nichols créent un séisme à Hollywood, suivis l’année d’après d’Easy Rider de Dennis Hopper. Ces films exigeants trouvent pourtant un public très nombreux, au grand dam des producteurs du « Vieil Hollywood ».
Célébré dans la fièvre avant-gardiste du New York alternatif, Brian De Palma est déjà une légende parmi les cinéastes indépendants des années 60. Le réalisateur documente la période avec un regard tour à tour fasciné et ironique. Il nourrit, comme beaucoup, le rêve de devenir le Jean-Luc Godard américain. Ses films sont satyriques, expérimentaux, novateurs, disjonctés et très engagés.
Dans un de nos entretiens, Brian De Palma m’a confié :
« Quand je suis arrivé à New York vers la fin des années 50, il y avait toute cette excitation au sujet de la Nouvelle Vague Française, du cinéma européen, les Brits, les Italiens, les Indiens… Nous les avions tous vus quand j’allais à l’université de Columbia. Et c’est devenu un nouveau centre d’intérêt pour moi. En raison de ma passion pour la technique, je n’ai pas été intimidé par les caméras, et j’avais des capacités pour la réalisation. Ainsi, j’ai fait ça sans vraiment savoir dans quoi j’entrais, et j’ai juste continué. »

 

1. Columbia University et Sarah Lawrence College

 
Les débuts de Brian De Palma ont lieu lors de sa deuxième année d’études à la Columbia, lorsque des étudiants lui proposent d’être opérateur sur leur court-métrage. Suite à une querelle avec son équipe, le réalisateur du court-métrage quitte le plateau. De Palma reprend alors la réalisation de ce qui deviendra Icarus, son premier court-métrage.
« J’étais un jeune homme très focalisé et déterminé, et c’est ce que vous devez être si vous voulez avoir une carrière dans n’importe quoi. »
Le film, symbolique, se moque du style programmé de la vie moderne, montrant le dieu Pan, sortant d’une bouche de métro, qui cherche à faire dégringoler des personnages marchant en équilibre sur des fils.

Après 660214, the Story of an IBM Card (1961), film d’étudiant relativement peu intéressant, De Palma réalise son troisième et certainement meilleur court-métrage de sa filmographie naissante, Woton’s Wake (1962). Le cinéaste en herbe passe plus en plus de temps au Sarah Lawrence College, un établissement d’arts libéraux de New York. Il y rencontre Wilford Leach, un professeur d’art dramatique qui aura une influence importante sur De Palma. Il rencontre également un de ses futurs amis fidèles, l’acteur William Finley, qui apparaît pour la première fois dans un de ses réalisations. Ils retravailleront ensemble notamment sur The Wedding Party (1964-1966), Murder à la Mod (1967), Sisters (1973), Phantom of the Paradise (1974), The Fury (1977), Pulsions (1980) où il prête sa voix singulière à Bobby, ou récemment The Black Dahlia(2005). S’inspirant du Pygmalion, son personnage est un sculpteur dont une de ses œuvres se métamorphose en une jolie fille. Il lui court après muni d’une lampe torche pour lui rendre sa forme initiale, préférant sa création à la fille. Le film se réfère ouvertement à des chef-d’œuvres tels que Le Septième Sceau de Bergman, Huit et Demi et La Dolce Vita de Fellini, ou même King Kong de Cooper & Schoedsack.  Le Musée d’Art Moderne lui décerne le prix du meilleur court-métrage des moins de 25 ans, et il gagne également le Grand Prix du concours The Cinema 16 Independant Film contest qui récompense les courts-métrages expérimentaux. Dans un documentaire réalisé par Luc Lagier (qui se trouve sur le DVD Brian De Palma, les années 60 - 2002), De Palma parle de Woton’s Wake comme de son meilleur court-métrage de cette période.


2. The Wedding Party et Murder a la Mod

Entre 1964 et 1966, Brian De Palma réalise son premier long-métrage: The Wedding Party, co-réalisé par Cynthia Munroe. Il doit s’agir à l’origine d’un film à sketches sur l’amour en Amérique dans l’esprit de L’Amour à Vingt Ans (de François Truffaut, Marcel Ophuls, Andrzej Wajda, Renzo Rossellini et Shintaro Ishihara). De Palma et Munroe écrivent un sketch, ainsi que d’autres réalisateurs (Ulu Grosbard et John Hancock) qui travaillent un an sur ce projet. De Palma réunit dix mille dollars pour son sketch, Cynthia Munroe s’auto-finance, mais les autres n’arrivent pas à trouver l’argent nécessaire. De Palma et Munroe décident de réaliser un long-métrage du sketch de Munroe qui s’inspire du mariage d’un de leurs amis communs. L’acteur principal est un élève de Colombia, Charles Pfluger, et l’actrice Jill Clayburgh était de Sarah Lawrence. William Finley interprétait également un personnage. Mais le film marquait surtout le tout premier rôle d’un acteur alors inconnu et débutant: Robert De Niro. De Palma l’a remarqué lors d’une séance de casting organisée avec Finley dans un loft de Greenwich Village, où De Niro improvise avec Finley et fait déjà une forte impression. Tourné en 16 mm avec différents effets de style tels qu’accélérés, ralentis ou montage rapide, le film raconte l’histoire de Charlie, fiancé à Josephine, mais refroidi par la rencontre avec sa belle famille, il décide de s’enfuir avant le mariage. Ses amis Cecil et Alistair le ramenent à temps pour la cérémonie. Le tournage démarre en décembre 1964 et continue durant 1965. De Palma fait le montage dans le studio où il vit. Après son cursus à Sarah Lawrence, De Palma fonde une petite compagnie, avec un certain Kenny Burrows, pour tourner des documentaires et des films industriels. Burrows et De Palma réalisent Bridge That Gap (1965) pour le NAACP (une association nationale pour l’avancement des gens de couleur) sur les logements sociaux des noirs à la Nouvelle Orléans, et Show Me a Strong Town and I’ll Show You a Strong Bank (1966), tourné pour le compte du Département du Trésor, et qui suit un inspecteur visitant des banques. Ce dernier projet inspire à Brian De Palma le scénario d’un film, Nazi Gold, qu’il n’a toujours pas réalisé. En passionné d’art, il réalise en 1966 un documentaire portant le titre The Responsive Eye, sur une importante exposition op art au Musée d’Art Moderne de New York. Le but est de montrer les artistes comme des personnes drôles et ayant de l’humour, et non en tant que monstres sacrés. Aidé par l’ancien professeur de De Palma au Sarah Lawrence, Rudolf Arnheim, le film montre l’exposition en elle-même, le vernissage, et quelques entretiens avec les artistes. À l’instar de documentaristes comme les frères David et Albert Maysles (réalisateurs notamment du documentaire sur la première tournée des Beatles aux USA, et de Gimme Shelter des Stones), ou de Donn Alan Pennebaker (réalisateur du Don’t Look Back de Bob Dylan, et plus tard du documentaire sur l’historique dernier concert de David Bowie, Ziggy Stardust, entre autres), De Palma tente lui aussi de réaliser un documentaire rock intitulé Mod et part filmer des concerts des Who ou des Animals en Angleterre, et retranscrit la première tournée américaine des Rolling Stones. Mais faute de budget, le film ne verra jamais le jour.

Avec seulement cinquante mille dollars de budget, De Palma tourne son second long-métrage, Murder a la Mod (1967), grâce en partie à l’argent de ses précédentes commandes, mais aussi avec le financement d’un producteur spécialisé dans le film érotique (De Palma lui certifie que son film en sera un). William Finley joue le rôle d’un psychopathe sourd et muet, et compose la chanson du film. Divisé en trois segments différents par le style, le film montre le meurtre d’une fille au pic à glace. D’abord filmée à la manière d’un feuilleton à l’eau de rose, du point de vue de la victime, l’histoire redémarre ensuite, racontée de façon « hitchcockienne », et recommence enfin du point de vue du tueur, à la manière d’un film burlesque. Distribué avec les moyens de De Palma et Burrows, le film sort en double programme avec Secret Cinema de Paul Bartel. Il est resté deux semaines à l’affiche. Quant au producteur de films érotiques, il n’est pas enchanté du résultat auquel il ne s’attend absolument pas. Des années plus tard, De Palma utilisera des images de Murder a la Mod dans Blow Out (1981), dans une scène où Dennis Franz regarde la télévision…

3. Cinéma contestataire et premiers succès


De Palma vient de recevoir une bourse du studio Universal pour faire partie d’un groupe de jeunes talents. Il propose une idée pour un film tirée de l’affaire Charlie Starkweather. Surnommé "Mad Dog Killer", Charlie et sa petite amie ont tué onze personnes entre le Nebraska et le Colorado durant l’année 1958, avant d’être capturés par la police (il a été condamné à la chaise électrique, et elle est sortie de prison après 18 ans d’incarcération). Terence Malick s’inspira de cette même affaire pour son premier long-métrage, Badlands, réalisé en 1974. Mais finalement, le studio se désintéresse des idées du groupe. Charles Hirsch, ami de De Palma qui travaille pour le même studio à New York, propose à De Palma de produire un petit film, sans l’appui d’Universal.

Avec vingt-cinq mille dollars de budget environ, commencé en 16mm puis repris en 35 à cause d’une caméra défectueuse, son troisième long-métrage intitulé Greetings (1968) voit le jour. C’est l’histoire de trois personnages, Paul Shaw (Jonathan Warden), Jon Rubin (Robert De Niro), et Lloyd Clay (Gerrit Graham) qui s’efforcent d’échapper à leur incorporation militaire pour la guerre du Vietnam. Paul se fait passer pour un homosexuel, Jon prétend faire partie d’une organisation paramilitaire secrète, tandis que Lloyd n’a même pas besoin de subterfuge pour se faire percevoir comme un indésirable aux yeux de l’armée. Réalisé en deux semaines avec beaucoup d’improvisations de la part des acteurs, le film reflète l’esprit des années soixante : la révolution sexuelle, l’appel pour le Vietnam, et l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Dans l’attente des décisions pour le service au Vietnam, chaque personnage se défoule à sa manière. Lloyd Clay, et sa quête de la preuve d’une conspiration contre JFK, est peut-être le personnage le plus intéressant du film.

La version officielle de cette tragédie est effectivement beaucoup remis en cause, notamment par des personnes qui cherchent à prouver qu’il s’agit d’un complot à haute échelle. L’événement et surtout l’investigation qui a suivi ont définitivement marqué le cinéma de Brian De Palma. Lors de cette visite pré-électorale, à Dallas le 22 novembre 1963, le cortège avec la limousine présidentielle décapotée traverse la ville à petite vitesse, salué par la foule amassée, quand les coups de feu éclatent. Le « film Zapruder » (film amateur à présent connu dans le monde entier, du nom de celui qui a enregistré les images) ne dure que quelques secondes, mais montre les terrifiants derniers instants du président américain. On le voit d’abord touché au niveau du cou. Assis devant lui, le gouverneur Connally est blessé à la poitrine. Puis une gerbe de sang jaillit de la tête de JFK. La limousine accélère et disparaît. On le déclare mort une fois transféré au Parkland Hospital. Selon les conclusions des deux enquêtes gouvernementales menées, Lee Harvey Oswald est l’assassin du président. Il n’a jamais été jugé car deux jours après son arrestation, il est mort assassiné devant les caméras. Le film Zapruder est réquisitionné pour l’enquête et les premières images paraissent sous forme de photographies en série dans Life magazine. Chaque cliché peut être ainsi analysé, et ceux qui adhérent à la théorie du complot les étudient en y trouvant des anomalies, notamment dans les mouvements de têtes de Kennedy.

Cela inspirera Blow Out (1981) à De Palma, où le personnage de John Travolta, Jack Terri, achète un magazine, photographie chaque photogramme de l’assassinat (dont il a été le témoin), et en créé un film pour découvrir l’origine du coup de feu.

L’enquête du HSCA (House Select Committee on Assassinations, commission d’enquête créée par la Chambre des Représentants des USA en 1976 pour enquêter sur les assassinats de Kennedy et de Martin Luther King) estime qu’il y a eu conspiration le 22 novembre 1963, ce que de nombreuses personnes pensent encore aujourd’hui…

Dans Greetings, il y a notamment une scène étonnante où Lloyd explique le trajet des balles mortelles, en utilisant le corps dénudé d’une jeune fille. Finalement, Lloyd se fait abattre par un soi-disant témoin du meurtre de Kennedy. Même si les films de De Palma regorgeront par la suite de complots, de manipulations politiques, notons que le réalisateur n’a jamais cru à ce genre de théories. À la fin de Greetings, Paul et Jon se font incorporer. Jon, qui orchestre des strip-teases devant sa caméra, n’hésite pas une fois au Vietnam à faire de même, sur une autochtone qu’il a capturé. L’avant-gardiste De Palma prépare déjà Outrages (Casalties of War, 1989) et Redacted (2007).
Greetings remporte l’Ours d’Argent au festival de Berlin en 1968, et rapporte trois millions de dollars de bénéfices. C’est le premier succès de De Palma qui se met à l’écriture d’une suite… Entre-temps, en 1969, William Finley qui fait partie d’une troupe d’avant-garde new-yorkaise, le Performance Group, invite De Palma à découvrir une de leurs représentations mise en scène par Richard Schechner. Le spectacle est un happening et fait intervenir le public. Cela plaît tellement à De Palma qu’il décide d’en faire un film.

Le principal intérêt de la pièce de Dionysus, est que les acteurs interagissent avec le public venu les voir jouer. En s’interrogeant sur la façon de rendre ça cinématographiquement, De Palma en est venu à la conclusion que l’idéal est de filmer avec deux caméras, et de monter le tout en split-screen (l’écran partagé, technique consistant à diviser l’image en plusieurs parties). Parfois, sans doute pour masquer le moment où un des deux cameramen coupe pour changer de bobine, les deux cadres sont identiques, ou bien un effet de style répéte l’image du cadre d’à côté à l’envers, façon "miroir", ou bien la partie est simplement noire. Autrement, De Palma filme la pièce en plan séquence, dans le cadre gauche (dans le cadre de droite, ce sont les images du second cameraman, Robert Fiore, qui se concentre sur l’interaction de la pièce avec le public). De temps à autres, De Palma et Fiore apparaissent dans le champs de l’autre.

De Palma se rend compte que cette technique d’écran partagé est parfaite pour filmer des actions parallèles, et il la reproduira dans son œuvre à divers reprises, principalement dans ses thrillers.

La pièce de Dionysus in ‘69 est une libre adaptation des Bacchantes d’Euripide. Les acteurs jouent parfois nus, entrent en transe et invitent les spectateurs à danser avec eux des espèces de rituels inspirés du chamanisme ou des tribus primitives.

Hi, Mom! (1969), la suite de Greetings, et l’interprétation géniale de De Niro qui excelle déjà dans le domaine semi-paranoïaque, préfigurent Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976) et son personnage de Travis Bickle.

Jon Rubin, toujours voyeur, et en possession d’une caméra lui permettant de filmer la vie intime de ses voisins, compte revendre son travail à un producteur de films pornos. Il va jusqu’à se mettre lui-même en scène, après avoir séduit sa voisine, Judy Bishop, et filme leurs ébats depuis son appartement à l’insu de la fille. Mais la caméra pique du nez au moment crucial, et son film est raté. Il abandonne le cinéma porno et s’intègre dans une troupe, "Be Black Baby", groupe théâtral qui maltraite les blancs pour les faire réagir sur les conditions de vie des communautés noires aux États-Unis. Puis Jon se marie à Judy, et vit avec elle dans une situation embourgeoisée. Ne supportant plus ce mode de vie, Jon fait exploser son immeuble et apparaît à la télévision comme témoin, avant de profiter de la présence de la caméra pour saluer sa mère (« Hi, Mom! »).

De Palma reprend De Niro mais aussi également Allen Garfield et Gerrit Graham, dans de nouveaux rôles. Charles Durning (qui jouera ensuite dans Sisters et The Fury) fait une apparition dans la très drôle scène d’ouverture. De Palma choisit également son ex-petite amie, Jennifer Salt, pour jouer le rôle de Judy Bishop, la voisine que Rubin observe et finit par épouser. L’actrice a fait ses études de cinéma au Sarah Lawrence College avec De Palma, et ce dernier la fait jouer en 1964 dans Jennifer, un court-métrage qu’il réalise pendant une interruption du tournage de The Wedding Party dans lequel elle joue également. De Palma poursuit avec les effets de style tels que les ralentis, les accélérés, ou l’utilisation de temps à autres du noir et blanc dans des séquences filmées caméra à l’épaule. Représentative de l’Amérique contestataire, la séquence de « Be Black Baby » s’inspire des nouvelles formes de théâtre, style happening, qui malmènent et insultent le public. Filmée à la façon "cinéma vérité" en noir et blanc, cette séquence rappelle évidemment Dionysus in ‘69. En 1970, grâce au succès de Greetings, la Warner propose à De Palma la réalisation d’un film.

4. Première expérience douloureuse : Get to Know your Rabbit


C’est la première fois qu’un studio hollywoodien s’intéresse à lui. Malheureusement, les choses se passent mal. Si la marginalité du projet de Get To Know Your Rabbit semble convenir au tempérament de Brian De Palma, ses relations avec Tom Smothers (l’acteur principal du film) sont difficiles, comme ses rapports avec la Warner qui deviennent de plus en plus conflictuelles.

Le film est une satyre du capitalisme, racontant l’histoire de Donald Beeman, cadre dans l’entreprise du richissime Turnbull (John Astin). Donald décide de tout plaquer pour prendre des cours de claquettes et de magie avec Mr. Delasandro (Orson Welles), puis fait une tournée de représentations dans des bars infâmes, avant de devenir rapidement un prestidigitateur et danseur de claquettes reconnu. Un jour, en revoyant Turnbull ruiné et devenu alcoolique, il finit par l’embaucher. Mais Turnbull, entrepreneur dans l’âme, décide de monter une véritable industrie de loisirs autour de l’expérience de Beeman. Les gens s’habillent comme Donald, apprennent les claquettes et les mêmes tours... Du coup, il se retrouve à la tête de l’entreprise qu’il a créée malgré lui, avant de s’en échapper à nouveau.

La Warner ne comprend pas le désir d’innover de son réalisateur. Malgré tout, De Palma parvient à tourner des séquences très réussies, comme celle d’ouverture, au cours de laquelle la caméra suit en plongée verticale Beeman dans son appartement, et qui préfigure des plans majestueux à la Snake Eyes. Pas très compréhensive vis-à-vis des exigences artistiques de De Palma, la firme finit par renvoyer le cinéaste avant le montage de son film. Dans le livre d’entretiens par Blummenfeld & Vachaud, De Palma évoque une autre raison : pendant une soirée, De Palma a tourné en ridicule Ted Ashley, qui dirige alors la Warner, pendant une blague avec Martin Scorsese. La semaine suivante, il est viré.

Avant la sortie du film remonté, Martin Ransohoff, de Filmways, propose à De Palma la réalisation de Fuzz (finalement réalisé par Richard A. Colla en 1972), une sorte de M.A.S.H. dans un commissariat de police, et qui s’avère être à l’époque la seule offre qu’on lui fait. Le studio impose Yul Brynner et Raquel Welch, deux erreurs de casting. De Palma se doutant bien que le projet court au désastre, laisse tomber.
Fin 1971, suite à l’échec de sa première commande pour un studio (finalement Get To Know Your Rabbit est sorti en 1972) qu’il digère assez mal, et après avoir abandonné le seul projet qu’on lui propose, De Palma décide de tout recommencer à zéro. Il quitte New York et part s’installer en Californie chez son ex-petite amie, Jennifer Salt, qui vit dans une maison au bord de la plage avec une autre comédienne, Margot Kidder. De Palma et Kidder sortent ensemble. Tout comme lui, Jennifer et Margot ont quelques soucis professionnels. À Noël 1971, les deux actrices ont la surprise de trouver deux scénarios emballés dans du papier-cadeau sous le sapin: Sisters et Phantom of the Paradise
 

Romain Desbiens.

Brian De Palma, Jennifer Salt et Margot Kidder, sur le tournage de Sisters (1973).

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