Steven Spielberg, Martin Scorsese, Brian De Palma, George Lucas
et Francis Ford Coppola, à l’anniversaire de Scorsese
Brian Russell De Palma, né le 11 septembre 1940 à Newark dans le New Jersey, est le cadet d’une famille protestante de trois fils. Les parents, Anthony et Vivienne De Palma, laissent leurs garçons cohabiter dans un climat de concurrence, où chacun vit pour soi et s’achète par exemple les mêmes revues de science fiction pour compléter sa propre collection. Les yeux sont surtout tournés vers l’aîné, l’arrogant Bruce dont l’orgueil finira par lui faire perdre la raison. Insociable, il deviendra peu à peu misanthrope, partira vivre sur une île de Nouvelle-Zélande et mourra dans la plus grande solitude à la fin des années quatre-vingt-dix. De son côté, le jeune Brian cultive très tôt une passion pour la physique dont il décide de faire sa spécialité (en partie pour s’attaquer au terrain de Bruce, également passionné de ce domaine). Adolescent surdoué, fasciné par l’astronomie et la science-fiction, il conçoit lui-même des ordinateurs et reçoit de nombreux prix, localement puis au niveau national.
À dix-sept ans, il est récompensé par une médaille d’or pour une thèse portant cet obscur titre de : L’application de la cybernétique à la résolution d’équations différentielles (An Analog Computer to Solve Differential Equations). Plus intéressé par l’univers électronique des ordinateurs, il n’accorde pas encore beaucoup d’importance au septième art qu’il considère comme du loisir. Les films qui passent au cinéma le samedi soir représentent surtout l’occasion de sortir avec une petite copine. Néanmoins, deux films de Michael Powell découverts à la télévision le marquent : The Red Shoes et The Thief of Bagdad.
Pendant ce temps, les relations entre ses parents se dégradent. Son père, qui exerce les métiers de professeur médical puis de chirurgien orthopédique, trompe sa femme avec une infirmière. La mère n’a pas suffisamment de courage pour le quitter mais assez pour tenter de se suicider. Après l’avoir trouvée avec une boite entière de barbituriques vidée, Brian conduit sa mère à l’hôpital. Ne pouvant pas laisser une situation comme celle-là s’envenimer, le jeune surdoué de la technique ira, muni d’un appareil photographique, sur les traces de son père qu'il suivra pendant plusieurs jours. En prenant des clichés de lui avec sa maîtresse, Brian acquiert ainsi le matériel nécessaire à présenter pour obtenir le divorce de ses parents…
Brian De Palma quittera le foyer familial pour entrer à l’université Columbia de New York, dans le but d’achever sa formation et de devenir astrophysicien. Mais pendant sa première année de faculté, âgé alors de dix-huit ans, il est fortement marqué par la vision d’un film découvert dans une salle new-yorkaise : Vertigo d’Alfred Hitchcock. La compagnie d’étudiants cinéphiles, d’amateurs de théâtre, l’arrivée d’Europe de nouvelles formes cinématographiques avec Godard, Truffaut, Rossellini ou Antonioni, et la fréquentation régulière des ciné-clubs, créeront chez lui la révélation. En 1958, Brian De Palma laisse définitivement tomber la physique, et s’oriente vers des études artistiques…
Jean-Luc Godard a une influence considérable sur lui. Il réalise son premier court métrage d’étudiant en 1960, Icarus, suite à l’abandon de son réalisateur initial. C’est suivi l’année suivante de 6601224, The Story of An IBM Card, et surtout Woton’s Wake en 1962, pour lequel il remporte plusieurs prix. Au cours de ses études au Sarah Lawrence College, De Palma aborde le long-métrage avec The Wedding Party, co-réalisé avec Cynthia Munroe et un professeur d’art dramatique, Wilford Leach, qui aura une importance déterminante pour De Palma. C’est une comédie en partie improvisée par les comédiens dont c’est les débuts à l’écran : Robert De Niro et Jill Clayburgh. Le réalisateur en herbe poursuit son apprentissage sur divers documentaires et courts métrages dont The Responsive Eye consacré à une exposition d’Op Art au Musée d’Art Moderne de New York. En 1967, il revient au long métrage avec Murder à la Mod, thriller sophistiqué émaillé de références hitchcockiennes. L’euphorie contestataire des années soixante inspire De Palma. En s’interrogeant sur les paradoxes artificiels de la société américaine et l’absurdité de la guerre du Vietnam, il livre les comédies satiriques novatrices Greetings (Ours d’Argent au Festival de Berlin) qui sera le premier film classé X aux Etats-Unis, et Hi, Mom!, deux films prouvant que c’est l’un des meilleurs jeunes talents de la Nouvelle Vague américaine. Entre-temps, il réalise Dionysus in ‘69, film documentaire sur un happening filmé en écran partagé, technique qu’il reprendra dans plusieurs de ses films. De Palma devient une légende parmi les cinéastes new-yorkais indépendants, et de grands studios hollywoodiens commencent alors à s’intéresser à lui. Il se voit ainsi offrir des projets plus importants.
On lui propose une comédie : Get to Know Your Rabbit, qu’il réalise en 1971 avec pour acteurs Tom Smothers, Katharine Ross et une très grande figure du cinéma alors sur le déclin, Orson Welles. Mais les relations avec les producteurs sont conflictuelles et De Palma est viré avant le montage. Il se change les idées en partant s’installer en Californie avec le futur « Nouvel Hollywood » (Spielberg, Lucas, Scorsese…), dans la maison des actrices Jennifer Salt et Margot Kidder. À Noël, il offre aux deux comédiennes un scénario qu’il a écrit pour elles, Sisters, qu’il tourne en 1973. Rompant avec le style à moitié improvisé de ses précédents films, il affirme ici d’exceptionnelles qualités d’écriture, un sens de la construction, du cadrage et du rythme dignes des meilleurs réalisateurs hollywoodiens. La consécration artistique arrivera l’année suivant ce coup de maître, lorsqu’il signe le thriller musical Phantom of the Paradise qui remporte en 1975 le Grand Prix du Festival d’Avoriaz. En 1975, il écrit et réalise Obsession, thriller romantique interprété par Cliff Robertson et Geneviève Bujold, où il rend un bel hommage à Hitchcock.
En 1976, il porte à l’écran le premier roman de Stephen King, Carrie, et, en dépit d'un timide marketing, c’est le triomphe international qui vaut une nomination à l’Oscar pour Sissy Spacek et Piper Laurie. C’est la première et une des plus brillantes transpositions de l’œuvre de Stephen King. Sa célèbre séquence finale, qui a fait brusquement jaillir les popcorns de salles tremblantes, et certains procédés du film, ont été depuis largement imités. Le film a révélé John Travolta (ici dans son tout premier rôle), Amy Irving et Nancy Allen que De Palma épousera en 1979 (ils divorceront en 1983).
En 1977, De Palma dirige Kirk Douglas, John Cassavetes et Amy Irving dans The Fury, film d’espionnage mêlant occultisme et politique-fiction. En 1978, il réalise Home Movies toujours avec Kirk Douglas, et aussi Nancy Allen et Keith Gordon, et le concours de ses étudiants en cinéma de Sarah Lawrence College. Cette comédie semi autobiographique retrace directement ses propres aventures d’adolescent quand il espionnait son père.
C’est au cours des années quatre-vingt que sa réputation d’affreux jojo du cinéma américain prendra forme, avec des films provocateurs où les perversions sexuelles gratinées, les meurtres au rasoir, à la perceuse ou à la tronçonneuse, scandaliseront et lui vaudront quelques démêlés avec les féministes. Ce sera le cas notamment avec Dressed to Kill qu’il réalise en 1980, interprété par Michael Caine, Angie Dickinson et Nancy Allen, qui est considéré aujourd’hui comme l’une des grandes réussites de sa carrière, tout comme Blow Out qu’il écrit et met en scène en 1981, hommage à sa façon au Blow Up d’Antonioni. Il explore avec ces deux films deux thèmes dominants de son œuvre : voyeurisme et manipulation. Mais malgré leurs indéniables qualités, le public n’est pas au rendez-vous. À cause des nombreuses références aux films d’Alfred Hitchcock, on l’accuse de n’être qu’un plagiaire du grand maître du suspense.
En 1983, Brian De Palma réalise une nouvelle version baroque et hyper violente de Scarface, sur un scénario d’Oliver Stone d’après celui d’Howard Hawks et Ben Hecht. On y découvre un Al Pacino grandiose en psychopathe cocaïné jusqu’aux tréfonds des sinus, et le film révèle Michelle Pfeiffer. Évidemment, la critique n’est pas tendre, et ne le sera pas non plus avec son prochain film. En 1984, De Palma signe Body Double qui offre son premier grand rôle à Melanie Griffith dans ce qui sera le dernier thriller en hommage à Hitchcock, où les références fourmillent. La scène du meurtre à la perceuse longue mèche a fait pleuvoir des articles de presse incendiaires. Abandonnant temporairement ce genre qui a fait sa réputation, il tente une comédie, Wise Guys, qui sera un échec, puis réalise The Untouchables d’après la célèbre série télévisée. Marquant le début de la collaboration entre De Palma et Ennio Morricone pour encore deux films, le film vaudra l’Oscar à Sean Connery et lancera simultanément les carrières de Kevin Costner et Andy Garcia. Grâce à cet immense succès, il peut se permettre de réaliser un sujet plus sensible et qu’il a toujours voulu porter à l’écran : l’histoire vraie du viol d’une jeune Vietnamienne par des soldats américains pendant la guerre du Vietnam. Ce sera Casualties of War où il dirige ainsi Michael J. Fox à contre-emploi, avec également Sean Penn. Le succès est cette fois manquant, et la critique trouve encore le moyen de tirer à boulets rouges sur De Palma, comme Village Voice qui met la photo de De Palma en couverture.
En 1990, il adapte le roman de Tom Wolfe The Bonfire of the Vanities avec Tom Hanks, Melanie Griffith et Bruce Willis, mais le film ne sera qu’un gros fiasco financier et critique, le plus difficile à encaisser pour De Palma. Il reste néanmoins créatif et s’est alors risqué à de nouvelles expériences toujours impressionnantes du point de vue artistique, retournant au thriller en 1992 avec Raising Cain qu’interprètent John Lithgow et Lolita Davidovitch, et qui divise ses fans, ou dirigeant Al Pacino dans ce qui est considéré comme l’un des meilleurs polars des années 90, Carlito’s Way, racontant le destin inexorable d’un ancien trafiquant repenti. Entre-temps, il épouse la productrice Gale Anne Hurd, en 1991. Ils auront une fille, Lolita, et divorceront en 1993. Il se remariera en 1995 avec une certaine Darnell Gregorio, avec qui il aura également une fille, Piper, et ils divorceront en 1997.
C’est en 1996 avec Mission: Impossible, interprété par Tom Cruise, Jon Voight, Emmanuelle Béart, Kristin Scott Thomas et Jean Réno, que De Palma connaîtra un succès international (son plus gros à ce jour). Cette adaptation -plutôt libre- de la série culte sera suivie du thriller Snake Eyes, interprété par Nicolas Cage et Gary Sinise, dont le premier plan est impressionnant de virtuosité. En 2000, sort son premier film de science-fiction : Mission to Mars, interprété par Gary Sinise, Tim Robbins, Don Cheadle et Connie Nielsen. Le film est descendu par la critique et le public ne suit pas. De Palma s’installe en France, parcourt Paris en mobylette, et décide d’y tourner un film sur les mésaventures d’une manipulatrice. Marquant son retour au thriller érotique, Femme Fatale, réalisé en 2002 avec Rebecca Romijn et Antonio Banderas, démarre sur un audacieux vol de bijoux au Palais des Festivals de Cannes.
En 2005, il réunit Josh Hartnett, Scarlett Johansson, Hilary Swank et Aaron Eckhart pour The Black Dahlia, d’après James Ellroy, film qui déconcerte et son succès est mitigé. Avec Redacted, sur la vie de soldats américains dans la guerre en Iraq, De Palma retrouve le style de ses débuts où il dénonçait la guerre du Vietnam, et refait parler de lui dans les médias américains scandalisés. Il décroche le Lion d’Argent du meilleur réalisateur au festival de Venise. À bientôt soixante-dix ans, avec son très probable projet de faire The Boston Stranglers, Brian De Palma prouve qu’après presque cinquante ans de carrière son désir de faire du cinéma reste intact.
Dirigeant Tom Cruise pour Mission: Impossible